Faire reconnaître et interrompre la prescription d’une dette commune durant la procédure de divorce pour faciliter le partage des intérêts pécuniaires des époux

Les opérations de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux sont dans les divorces contentieux (ceux autres que par consentement mutuel) souvent traitées après le prononcé du divorce par le Juge aux Affaires Familiales.

Cependant, le conflit entre époux se poursuit après cette procédure de divorce lorsqu’il faut liquider le régime matrimonial et partager les biens communs des époux, la seule solution est alors de ressaisir le Juge aux Affaires Familiales.

Pourtant, il y a de nombreux avantages à faire trancher les points en litige sur les intérêts pécuniaires des époux durant la procédure de divorce.

Dans son arrêt du 2 décembre 2020, la Cour de Cassation fait droit à la demande du mari d’inscrire la dette commune au passif des époux mettant en exergue que la prescription extinctive à l’obligation de « remboursement » peut être interrompue par la reconnaissance de l’épouse de l’absence de paiement de ladite dette dans un dire adressé au notaire-liquidateur (Civ.1, 2 décembre 2020, n°pourvoi 19-15813, publié au bulletin)

Hormis le cas où un accord a été trouvé pendant l’instance en divorce sur la liquidation et le partage de leur régime matrimonial, l’ouverture de ces opérations a lieu après le prononcé du divorce afin d’éviter un allongement de cette procédure et privilégier un accord amiable entre les ex-époux.

Néanmoins, leur patrimoine commun ou indivis reste à partager.

Des difficultés liquidatives ou désaccords entre les ex-époux peuvent survenir ou subsister durant cette phase amiable et ces derniers doivent alors saisir, de nouveau, le juge aux affaires familiales pour qu’il les tranche.

Le juge va alors désigner un notaire-liquidateur et homologuera les accords qui ont pu être trouvés lors des opérations de partage judiciaire ou tranchera les points de désaccords persistants.

Les époux, certes peu conciliants, auront alors « subi » deux procédures judiciaires avant d’arriver à leur séparation « totale », sans compter le risque de dépréciation, voire de « disparition », de l’actif commun à se partager.

C’est pourquoi, il est conseillé de demander durant la procédure de divorce la désignation d’un notaire sur le fondement de l’article 255 10° du Code Civil lorsque les époux ont un patrimoine commun important ou/et que des désaccords sur la liquidation de leur régime matrimonial sont déjà présents.

Le Juge aux Affaires Familiales saisi du divorce demandera ainsi au notaire de dresser un projet de liquidation des intérêts pécuniaires des époux.

Il conviendra alors de prêter attention à ce que le notaire commis indique clairement dans son projet d’acte les points sur lesquels les époux restent en désaccords et leurs arguments respectifs.

Sur demande de l’époux dans ses conclusions, le juge du divorce pourra alors trancher les points pécuniaires restants en litige, prononcer le divorce et désigner un notaire pour dresser un acte de partage (sur la base du projet du notaire-commis et en fonction de la décision prise par ledit juge).

Dans l’arrêt du 2 décembre 2020, les époux étaient sous le régime de la séparation de biens. Ils avaient acquis ensemble un appartement au moyen de fonds leur appartenant et d’emprunt consenti par le père du mari.

Un notaire avait été nommé par le juge du divorce sur le fondement de l’article 255 10° du Code Civil.

Durant les échanges épistolaires préalables à l’établissement du projet d’acte par le notaire-commis, l’épouse avait reconnu l’existence de la dette envers le père du mari ainsi que le fait qu’elle n’avait pas été remboursée par les époux durant leur mariage.

Cependant, elle souleva la prescription de l’obligation de paiement de la dette par les époux afin que cette dernière ne soit pas inscrite au passif commun et ne vienne donc pas diminuer l’actif à se partager.

La Cour d’Appel avait rejeté la demande du mari sur le fondement que cette dette serait une créance éventuelle à l’encontre de la succession du père-prêteur et que l’époux ne pouvait pas se prévaloir de l’interruption de la prescription par le courrier de l’épouse.

La Cour de Cassation dans son arrêt du 2 décembre 2020 casse la décision d’appel. (Civ.1, 2 décembre 2020, n°pourvoi 19-15813, publié au bulletin)

Elle rappelle qu’au terme de l’article 2240 du Code Civil « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription. »

Puis, la Cour de Cassation indique que la prescription extinctive peut être interrompue par la reconnaissance d’un époux d’une dette commune dans un dire adressé au notaire-liquidateur s’il contient l’aveu non-équivoque de l’absence de paiement.

La Cour de renvoi sur cassation devrait conséquemment inscrire la dette au passif commun des époux et l’acte de partage des intérêts pécuniaires des époux pourra être dressé par un notaire.

Votre avocat peut vous conseiller sur la stratégie à adopter durant votre procédure de divorce pour faciliter le partage de vos intérêts pécuniaires avec votre futur ex-époux.

Maître Sophie RISALETTO

La clause de contribution aux charges du mariage contenue dans le contrat de mariage empêche de demander une créance à l’autre époux lors du divorce

L’article 214 du Code Civil dispose que « Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. »

Cette disposition s’applique quel que soit le régime matrimonial choisi par les époux et permet dans le cadre d’un contrat de mariage d’adapter la participation de chaque conjoint aux frais de la vie du couple.

Prévue principalement dans le régime matrimonial de séparation de biens, cette clause sur la contribution aux charges du mariage trouve son principal intérêt lors de la séparation du couple pour cause de divorce.

En effet, l’époux qui a des revenus supérieurs à ceux de son conjoint tente fréquemment d’obtenir une créance à son encontre dans le cadre de la liquidation de leur régime matrimonial.

Par sa décision du 1er avril 2015[1], la Cour de Cassation a souhaité expliciter la portée de la clause notariée.

Le régime légal français, applicable à défaut de contrat de mariage, est celui de la communauté de biens réduite aux acquêts. Tout bien meuble ou immeuble acquis pendant le mariage est alors présumé être commun aux deux époux, sauf preuve contraire.

Ainsi, pour des raisons de protection du patrimoine à l’encontre d’éventuels créanciers les époux préfèrent adopter le régime de la séparation de biens défini aux articles 1536 et suivants du Code Civil qui entraîne une séparation de leurs patrimoines et de leurs revenus.

A cette fin, les conjoints se rendent chez un notaire afin qu’il rédige le contrat de mariage régissant notamment leurs rapports patrimoniaux, et plus spécifiquement les modalités de contribution aux charges du mariage par chacun d’entre eux.

La pratique notariale insère quasi-systématiquement une clause relative à cette participation rédigée comme suit : « Les futurs époux contribueront aux charges du mariage en proportion de leur facultés respectives, conformément aux dispositions des articles 214 et 1537 du Code Civil. Chacun d’eux sera réputé s’être acquitté jour par jour de sa part contributive aux charges du mariage, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux, ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre. »

Cette clause ne pose pas de difficultés jusqu’au divorce où l’un des conjoints peut être tenté de demander à son futur ex-époux de lui restituer les fonds qu’il a investis dans le couple, et en particulier pour l’acquisition de biens immobiliers indivis dont l’ancien domicile conjugal.

Il s’agissait alors de solliciter du Juge aux Affaires Familiales le constat d’une créance entre époux par la démonstration que l’époux demandeur a contribué au-delà de la participation auquel il était tenue de par l’article 214 du Code Civil et les dispositions de son contrat de mariage.

Dans l’hypothèse où le magistrat faisait droit à la demande de l’époux, son conjoint qui pensait détenir par exemple 50 % de la propriété du domicile conjugal pouvait alors lui devoir une somme équivalente à la valeur de sa quote- part de propriété et de facto se retrouver sans aucun droit sur ledit bien immobilier.

Certains arrêts avaient considéré que la clause contenue dans le contrat de mariage n’instaurait qu’une présomption simple d’exécution régulière de l’obligation de contribution aux charges du mariage et n’empêchait pas l’époux de réclamer une créance entre époux.

Face à ces errements dans l’application de la clause notariée, la Cour de Cassation avait par deux arrêts de 2013[2] rappelé la force contractuelle de la présomption instaurée par la clause notariée relative à la contribution aux charges du mariage et exclu toute créance entre époux.

Par sa décision du 1er avril 2015, la Cour de Cassation affirme explicitement que la clause contenue dans le contrat de mariage interdit aux époux de prouver que l’un ou l’autre des conjoints ne s’était pas acquitté de son obligation et ferme ainsi la porte à la reconnaissance par les juges d’une quelconque créance entre époux sur le fondement d’une contribution supérieure de l’un des conjoints.

Maître Sophie Risaletto

[1] 1er Civ., 1er avril 2015, n° pourvoi 14-14349
[2] 1er Civ., 15 mai 2013, n° pourvoi 11-26933 ; 1er Civ., 25 septembre 2013, n° pourvoi 12-21892