Lettre d’actualité en droit de la santé, droit de l’entreprise médicale et sciences du vivant.
Mai 2014 – lettre n°2
CA CAEN, 4 février 2014, n°11/03773 – Polyclinique de Deauville – Monsieur L. ;
CA CAEN, 11 mars 2014, n°11/03616 – Polyclinique de Deauville – Docteur D. ;
Faits :
La Cour d’Appel de Caen a été saisie de deux affaires trouvant leur origine dans la restructuration d’une Polyclinique en suite de la création d’un pôle de santé public-privé et d’un regroupement d’activités hospitalières. La Polyclinique de Deauville, perdant sa maternité, obtenait semble-t-il en contrepartie l’autorisation d’ouvrir un nouveau service de réadaptation en lieu et place de la maternité.
Dans l’arrêt du 11 mars 2014, le Docteur D, médecin gynécologue-obstétriciens, lié à l’établissement par un contrat d’exercice et jouissant d’une co-exclusivité pour l’exploitation des 15 lits de la maternité de la Polyclinique, invoquait une résiliation aux torts de l’établissement, et l’indemnisation correspondante, du fait de la fermeture de la maternité et la perte de son activité obstétrique.
Dans l’arrêt du 4 février 2014, Monsieur L, kinésithérapeute et lié à l’établissement par un contrat d’exercice incluant une clause d’exclusivité pour l’exercice de son art, se plaignait de ce que l’ouverture du service de réadaptation, avec intégration d’un nouveau kinésithérapeute et d’un médecin spécialisé en médecine physique, avait atteint son exercice privilégié. Il sollicitait de la juridiction que celle-ci reconnaisse que l’établissement, par ce manquement, avait résilié le contrat et qu’il devait indemnisation.
L’appréciation de la responsabilité de l’établissement :
Dans les deux cas qui lui étaient soumis, la Cour d’appel cherche à qualifier la faute commise par l’établissement et l’atteinte portée à l’activité des praticiens.
Pour ce qui concerne le Docteur D, médecin gynécologue-obstétriciens, il est acté du fait que le praticien, en raison de la fermeture de la maternité, a été privé de la possibilité de poursuivre son activité obstétrique dans les conditions prévues au contrat d’exercice à partir de la fin de l’année 2007. Ce fait est imputé à l’établissement et la résiliation du contrat d’exercice reconnue à ses torts exclusifs.
Pour ce qui concerne Monsieur L, kinésithérapeute, l’appréciation des faits du litige se réalise sous un autre angle puisque celui-ci n’a pas été privé d’activité mais a par contre était victime d’une atteinte à son exercice privilégié du fait de l’ouverture d’un nouveau service d’hospitalisation de jour avec intégration d’un nouveau kinésithérapeute et d’un médecin spécialisé en médecine physique.
Pourtant, on sait que, en matière de clause d’exclusivité, les tribunaux ne cherchent pas simplement à mettre en évidence le principe même du manquement à la clause et à l’exercice privilégié, mais plus l’effectivité du manquement sur l’activité du professionnel protégé ou privilégié. (Pour ex. Civile 1, 9 juin 2011, n°10-17959 – cas dans lequel la Cour de cassation constate qu’en dépit de la violation contractuelle, le praticien ne subit aucun préjudice).
Dans le cas d’espèce, la Cour d’appel de Caen adopte le même raisonnement en indiquant que « la violation de la clause d’exclusivité ne doit pas être sanctionnée de plein droit par la résiliation du contrat d’exercice ».
L’appréciation de la faute ne se réalise donc pas de façon purement abstraite et détachée des faits surtout lorsque, comme au cas d’espèce, « les actes de kinésithérapie accomplis par les nouveaux praticiens exerçant dans le centre de réadaptation fonctionnelle ne recouvrent pas ceux qu’effectuaient Monsieur L. dont les patients relevaient d’une prise en charge plus légère et que, dès lors, l’impact de la violation de la clause contractuelle litigieuse sur le chiffre d’affaires et la cessibilité du contrat n’était pas démontré. » Au regard de ces constatations, le praticien est donc débouté de sa demande de résiliation du contrat aux torts de l’établissement. Une faute de la clinique est cependant retenue.
La confrontation des deux arrêts est intéressante puisque ils fixent la tendance actuelle en matière de contrat d’exercice qui est non plus de caractériser les manquements en quelque sorte de façon abstraite mais d’apprécier l’impact des manquements sur l’activité des praticiens concernés.
On notera que dans le cas du gynécologue obstétricien, le manquement de l’établissement est jugé suffisamment grave pour prononcer la résiliation du contrat alors même qu’en suite de la fermeture de la maternité, celui-ci avait conservé une certaine activité au sein de l’établissement, l’arrêt ne précisant pas cependant l’importance de l’activité conservée, se contentant de relever « l’importance du manquement » de l’établissement.
Il sera encore observé au titre de ces deux arrêts que l’établissement, pour tenter de dégager sa responsabilité, invoquait un cas de force majeure ou de fait du prince tiré des contraintes imposées par l’ARH (aujourd’hui ARS) et de la planification hospitalière ayant conduit l’établissement à entrer dans le cadre d’une restructuration. Bien que cet objectif de restructuration figurait au SROS, que la disparition de la maternité y était actée, les juges d’appel constatent l’absence de décision de la tutelle opérant retrait de l’autorisation de l’établissement ou non renouvellement de celle-ci, pour rejeter la défense de l’établissement.
Au titre d’une telle défense, nous constaterons qu’il nous semble toujours délicat en la matière d’invoquer une cause exonératoire ou un cas de force majeur au titre des objectifs fixés par la tutelle, sauf le cas d’une clause claire et précise dans le CEL, puisque les contraintes de la planification sont connues des deux parties. Il n’y a donc jamais de cas imprévisible et irrésistible pour les parties.
Il en est d’autant plus ainsi que les ARS prennent la précaution de privilégier les discussions entre les parties et évitent de recourir à des arrêtés de retrait ou de non-renouvellement d’autorisation. Dans le cas présent, l’établissement avait été conduit à négocier avec les autres établissements concernés par le projet de restructuration et avait régularisé un protocole d’accord dans lequel il actait le transfert de sa maternité vers le nouveau pôle public-privé, et donc son accord de principe au titre de la restructuration envisagée. La défense ne pouvait donc prospérer favorablement sur le fondement d’une cause extérieure.
Dans un tel cas, plutôt que le cas de force majeure ou le cas fortuit, il nous semble plus pertinent d’invoquer une disparition de l’objet ou de la cause du contrat en cours d’exécution ce qui a pour effet de ne pas placer le débat sur le terrain de la faute mais sur celui de la redéfinition des conditions d’exécution du contrat, redéfinition imposée par un tiers, et non par les parties.
L’évaluation de l’indemnisation due aux praticiens :
En la matière, la Cour d’appel de Caen rappelle le régime désormais fixé pour les clauses indemnitaires figurant aux contrats d’exercice et prévoyant généralement des annuités d’honoraires en cas de manquements contractuels.
Ces clauses sont des clauses pénales, au sens de l’article 1152 du code civil, réductibles si elles s’avèrent manifestement excessives au regard du préjudice subi.
Pour reprendre les termes employés par la Cour d’appel, ce type de clauses ne fixe que « la limite supérieure de l’indemnisation ».
Dans les cas d’espèce :
- Alors que la Cour constate que s’agissant de l’activité de Monsieur L. kinésithérapeute, « l’impact de la violation de la clause contractuelle litigieuse sur le chiffre d’affaires et la cessibilité du contrat n’était pas démontré », elle accorde à ce dernier une indemnisation presque symbolique à hauteur de 10.000 euros ;
- Pour le Docteur D, gynécologue-obstétricien, c’est une indemnité correspondant au tiers de 200 % des honoraires perçus au cours des trois dernières années au titre des patients hospitalisés qui lui est accordée, soit une somme de 98.010 euros, outre une indemnité de préavis puisqu’apparemment l’établissement n’avait pas pris les précautions nécessaires en la matière.
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- Professions de santé – Biologie médicale
CE, 6 février 2014, n°371236 – Syndicat National des médecins biologistes / Ministère de la santé ;
Conseil Constitutionnel, 4 avril 2014, n°2014-389 QPC ;
Le syndicat national des médecins biologistes avait saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’annulation de l’arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 11 juin 2013 déterminant la liste des tests, recueils et traitements de signaux biologiques ne constituant pas un examen de biologie médicale, des catégories de personnes pouvant réaliser certains de ces tests, recueils et traitements, comme étant non conforme à la constitution.
Dans son arrêt du 6 février 2014, le Conseil d’Etat avait décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
Le 4 avril 2014, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision, elle est la suivante :
« Considérant que le législateur a défini les examens de biologie médicale, délimité leur champ d’application et encadré les conditions et modalités de leur réalisation ; qu’en excluant de cette définition les tests, recueils et traitements de signaux biologiques qui constituent des éléments de « dépistage, d’orientation diagnostique ou d’adaptation thérapeutique immédiate » et en renvoyant à un arrêté le soin d’établir la liste de ces tests, recueils et traitements de signaux biologiques et de déterminer les catégories de personnes pouvant les réaliser, ainsi que, le cas échéant, les conditions de leur réalisation, l’article L. 6211-3 n’a pas habilité le pouvoir règlementaire à adopter des dispositions qui mettent en cause des règles ou des principes fondamentaux que la Constitution place dans le domaine de la loi ; que, par suite, le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence doit en tout état de cause être écarté ;
Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L’article L. 6211-3 du code de la santé publique est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. »
La question prioritaire de constitutionnalité est donc rejetée.
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